CRITIQUE de Joker : ceci n'est pas un film de super-héros
Joaquin Phoenix crève l'écran dans une origin story intense, marquante et dérangeante.
Un Joker sans Batman
Qui aurait cru un jour que Todd Phillips et Joaquin Phoenix seraient réunis pour faire ce Joker ? Le premier est le réalisateur des Very Bad Trip, le second a été nommé aux Oscars pour ses rôles dans Gladiator, The Master et Walk the Line, autant dire que c'est un choc de deux univers cinématographiques qui a lieu ici. Le résultat est totalement dingue, à des années-lumière des films de super-héros qui pullulent depuis plusieurs années sur nos écrans.
Une grande œuvre, portée par un Joaquin Phoenix magistral, qui ne laisse pas indemne, et qui dérange.
Tout le monde connaît le Joker, grand ennemi de Batman qui sème le chaos dans Gotham City, brillamment interprété au cinéma par Jack Nicholson et Heath Ledger (mais aussi par Jared Leto et Cesar Romero). Personnage psychopathe haut en couleur, affublé d'un maquillage clownesque, il est l'adversaire majeur du Chevalier Noir, mais dans Joker, pas question de combats avec Batman, ni même de super-héros. Non, Joker est avant tout un drame, qui suit Arthur Fleck, un homme qui vit avec sa mère dans un appartement vétuste de Gotham (qui ressemble quand même beaucoup à New York).
Dans les années 80, la ville sombre dans le chaos, les ordures s'accumulent dans les rues et les habitants perdent tout espoir, malgré les promesses de Thomas Wayne, candidat à la mairie. Arthur, surnommé Joyeux (Happy en version originale) par sa mère, est un artiste de rue qui aspire à faire du stand-up, malgré une maladie neurologique qui déclenche des crises de fous rires involontaires. Et nous découvrons ici comment il est devenu l’icône de la folie, le symbole d'un mal-être qui ronge Gotham. Une histoire très inspirée de La Valse des pantins de Martin Scorsese, à la différence que Robert de Niro incarne ici le présentateur d'une émission télévisée qui passionne Arthur et sa mère. Et qu'il s'agit du Joker qui veut s'inviter sur scène, ce qui change pas mal de choses.
Joaquin Phoenix, en route pour l'Oscar ?
Car le plus important dans Joker, c'est l'hallucinante prestation de Joaquin Phoenix, qui incarne ici un Arthur Fleck famélique, accro à la cigarette, mentalement instable et sujet à des crises de folie et rire fréquentes.
Le Joker est filmé comme un héros, le sauveur de la classe ouvrière de Gotham.
Todd Phillips et le directeur de la photographie Lawrence Sher (qui travaillait également sur les Very Bad Trip) ont réussi à proposer une réalisation particulièrement léchée avec Joker. Les plans sont travaillés, les mouvements de caméra pertinents et la mise en scène intelligente, tout est pensé en amont pour proposer une image qui fait mouche, oscillant entre les plans stables de toute beauté et les mouvements à l'épaule pour souvent être au plus proche d'Arthur. Mais là encore, le Joker est filmé comme un héros, le sauveur de la classe ouvrière de Gotham, opposé aux vils riches et à Wayne Enterprises, iconisant totalement ce personnage immoral et psychopathe. Là encore, la mise en scène oscille entre le fait de rendre un psychopathe charismatique, et celui de mettre mal à l'aise le spectateur, avec de gros plans dérangeants, souvent sur le visage maquillé et torturé d'Arthur.
Et si Joker est un film froid et marquant, c'est également grâce aux compositions de la violoncelliste Hildur Guðnadóttir. L'Islandaise a beaucoup travaillé avec le regretté Jóhann Jóhannsson pour les films de Denis Villeneuve, et nous propose ici une bande originale à l'image du Joker, glaçante et terrifiante, avec des violoncelles et des percussions qui transpirent la dépression, transcrivant parfaitement l'état chaotique de Gotham City pour nous plonger dans la folie de la ville, de ses habitants et du Joker. Sa précédente bande originale était pour la série Chernobyl, question ambiance oppressante, sombre et mélancolique, Hildur Guðnadóttir sait y faire, et des pistes plus légères comme Send In The Clowns de Frank Sinatra sont là pour calmer un peu la tension... avant qu'elle ne remonte, bien sûr.
Joker n'est clairement pas un film pour tout le monde. Déjà, parce qu'il propose des scènes très marquantes, voire choquantes, mais surtout, car son propos, c'est-à-dire le message véhiculé par le film, est assez flou. Même si Arthur Fleck est dépeint comme un personnage malade, terrifiant et psychopathe, à l'origine de crimes sanglants, la mise en scène oublie la sobriété pour iconiser le Joker, le rendant charismatique, presque attachant. Des plans moins léchés auraient peut-être pu éviter cet écueil, même si le spectateur en prend plein la vue pendant toute la durée du long-métrage, et parvient finalement à se questionner sur les images qu'il vient de voir après la séance. Une grande œuvre, portée par un Joaquin Phoenix magistral, qui ne laisse pas indemne, et qui dérange. C'était sans doute la volonté de Todd Phillips, et pour le coup, c'est réussi.
Note : 5 étoiles sur 5