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Remember Me 14 08 2012 head 2

REPORTAGE - Dontnod Entertainment : la création de Remember Me (partie 4)

par

D'où vient la beauté de Nilin ?

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Comment avez-vous repensé Paris pour le futur ? Est-ce que vous avez calqué à la rue près ? Ou avez-vous pris quelques libertés par rapport à certains quartiers ?
Michel Koch : On a pris des libertés, car calquer c’est… Dans les premières itérations du jeu, on avait un prototype où on avait un quartier entier. On avait fait pas mal de photos références, on avait récupéré la topographie. On avait calqué le quartier et, au final, ce n’était pas très intéressant. Ce qui compte, dans un jeu vidéo, c’est le rythme, le fun. En calquant, cela pouvait briser le rythme en cas de rue trop longue à traverser. Il faut prendre des distances artistiques. Notre but c’était vraiment de proposer une expérience rythmée, dynamique, pêchue et qui colle avec le scénario et les intentions de game design. Du coup, ce qu’on a vraiment voulu faire, c’est de garder l’essence de Paris, de l’échelle macro à l’échelle micro, que ce soit les monuments, les bâtiments haussmanniens, les petits détails de sculpture, d’éléments en travaux par exemple… et de réutiliser tout ça dans une vision plus personnelle pour créer notre univers.

Aleksi Briclot : Voilà, tu as parlé d’esprit, de feeling à restituer. Il y a un truc rigolo par rapport à ce prototype justement. Quand on l’avait fait, on était descendus avec une partie de l’équipe et des appareils photo, on s’était fixé un point à Saint-Michel et on s’était dit, « Tiens, voilà, l'entrée du niveau ça sera ici, la sortie du niveau ça sera là » et on avait shooté tout le parcours pour avoir un regard attentif sur tous les petits détails, aussi bien les crottes de pigeons, les salissures, l’état de la pierre, les graffitis, les affiches qui se recouvrent les unes, les autres… Et ce sont tous ces petits détails qu’on a essayé de réinsuffler dans le jeu. On ne retrouvera pas les mêmes affiches dans notre Saint-Michel que dans le Saint-Michel actuel, ce n’est pas l’objectif. Ce qui était marrant quand on a fait ce voyage-là, c’était de se dire qu’on fait un jeu d’action/aventure et d’imaginer, de se projeter, de se dire « Voilà, ces immeubles font 20 mètres de haut, 10 mètres de haut, on aura besoin de plus de scope pour voir où Nilin pourrait passer. » Il y avait ce mélange entre absorber Paris et se dire ce que cela pourrait donner.

M.K. : C’était vraiment se faire une bible graphique de tous ces éléments qui constituent l’essence de Paris et les réutiliser à bon escient dans le jeu pour vraiment, qu’à chaque moment du jeu, le joueur comprenne qu’il est à Neo-Paris, qu’il ait ses référents parisiens, dans un nouvel univers, en 2084, dans une nouvelle ville, avec tous les changements qu’il y a eu, les changements climatiques, de topologie.. Comme au début du jeu, on est dans la zone qui s’appelle le Deep-Paris, ce sont des quartiers de Paris qui se sont affaissés, donc il y a des restes du Paris actuel, mais qui ont subi des glissements de terrain. La topologie change et on a pu reconstruire des favelas dans ces zones, et cela crée encore un contraste entre les éléments parisiens reconnaissables et des éléments de bidonvilles. Et c’est tout ce travail de garder l’essence parisienne et de créer notre univers par-dessus.

On a essayé de développer le personnage le plus intéressant possible.

Passons maintenant à Nilin… Exceptée Lara Croft, il n’y a aucune héroïne qui a su s’inscrire dans le paysage vidéoludique. Pourquoi Nilin le ferait ?
A. B. : Parce qu’elle a été bien réfléchie, parce qu’elle est intense, parce qu’elle est réussie visuellement. Je ne vais pas lister tous les adjectifs, ce n’est pas à moi de le faire, mais au public. Après, nous, on a essayé de développer le personnage le plus intéressant possible. On a fait des choix un peu risqués. Comme vous le disiez, la plupart des joueurs spectateurs ont l’impression que quand on parle de personnages principaux féminins de jeux vidéo, il y en a des tonnes. Mais quand on liste, on tombe sur Lara Croft et puis, et puis, et puis le tour est super vite fait. Et ce que l’on découvre aussi ce sont juste des personnages secondaires, des bimbos, des princesses à délivrer, des personnages sans substance et, du coup, il y a eu pas mal de débats autour de ça. Chez Dontnod, on a toujours choisi un personnage féminin, cela a été sujet à plusieurs discussions avec d’autres éditeurs auparavant. C’est quelque chose qui, factuellement, juste avec les chiffres, est délicat, ce n’est pas un point fort. Cela aurait été plus simple pour nous de choisir un clone ou de travailler sur un clone de Brad Pitt ou George Clooney, comme dans pas mal de jeux attendus. C’est juste la réalité par rapport à beaucoup de joueurs qui se posent les questions.

Il y a tout une dimension aussi avec Remember Me et la création du studio Dontnod, qui n’existait pas avant. Il a fallu mettre en place une équipe, créer le studio avec la réalité du marché actuel. Il y a la fuite des cerveaux dans le paysage vidéoludique français à l’extérieur. Il y a, d’une façon globale, la concurrence, le décalage encore plus profond entre les super productions et les indés. Dans le jeu vidéo c’est pareil, on a les blockbusters, les AAA avec des budgets phénoménaux, et on a les petits jeux indés sur lesquels on peut travailler avec plus créativité, et une prise de risque bien mieux acceptée, en grande partie par rapport au budget. Et nous, voilà, on est partis dans notre délire, on a réussi à garder cette volonté de créer un jeu ambitieux. On est arrivé à rester dans le registre AAA, on a certains codes qu’on embrasse parce qu’on les aime, et au sein de ça, on a essayé d’apporter un peu de sang neuf, quelque chose de novateur. Entres autres, il y a le Memory Remix, la réflexion sur l’identité et la mémoire et le fait d’avoir choisi un personnage féminin, qui plus est métis… Il y avait une petite prise de risque. On n’espère pas changer le monde vidéoludique, on ne se dit pas qu’on a tout blasté, on a fait quelque chose de neuf. Mais, quelque part, il y avait une volonté de contribuer… de changer un petit peu les choses, en filigrane, en fond, la perception de l’industrie. Donc, on espère que cela va fonctionner. On a tout fait pour faire un personnage qui ne sera pas juste un faire-valoir, quelqu’un de vide, mais un personnage fort et intense.

Et si elle avait été moche, cela aurait-il marché également ?
A. B. : Par rapport à ça, je dirais qu’en tant qu’artiste, ce n’est pas vraiment un objectif de travailler sur une mocheté ou, alors, cela dépend du propos. Là, en plus, il y a des paramètres à conserver en tête, car on parle d’un jeu d’action/aventure. Dans un jeu d’action/aventure, le personnage est capable d’évoluer sur les murs, sur les façades d’une manière très agile, il se bastonne beaucoup aussi. Dans Remember Me il y a beaucoup de combats et ces paramètres-là influencent le physique du personnage dans la création artistique. Il faut réfléchir à ça. Elle a besoin d’être véloce, d’être féline, forcément, elle a besoin d’avoir une anatomie athlétique. Et, en général, qui dit anatomie athlétique, dit plutôt plaisant à l’œil, entre guillemets. L’autre paramètre c’est qu’on n’a pas envie de créer de répulsion chez le joueur, ce n’est pas notre objectif. Cela n’avait ni queue ni tête de travailler sur un personnage lambda. On a essayé de lui donner un maximum de caractère, en évitant les poncifs de décolleté abusé.

Une dernière question pour vous, Aleksi. Vous avez dessiné des cartes Magic, dessiné des comics, travaillé avec des géants américains et puis vous avez créé un studio parisien. Est-ce par défi, par passion ?
A. B. : Je pense que la passion est un peu au cœur de tout. On s’est retrouvés avec mes quatre associés co-fondateurs, il y a Alain qui est arrivé dans la boucle et on avait vraiment envie de faire des choses un peu différenciées. À la base, on n’avait rien, on n’avait pas de fond, on n’avait pas de structure. Il a fallu les trouver et il y avait une part d’utopie, de rêve et tout était tenu par la passion, cette envie de développer notre propre jeu, un jeu sur lequel on aurait envie de travailler, ça c’est super important. Un jeu auquel on aurait envie de jouer, et qui dit jeu de cette envergure, dit structure adéquate. Il y a un boulot énorme qui a été accompli et moi, je ne vais pas dire que j’ai été dépassé ou qu’on a été dépassés, mais par rapport à nos objectifs du début, cela a été beaucoup, beaucoup de travail. Moi, en plus du fait d’avoir accompli le jeu Remember Me, il y a une sorte de fierté que je pense avoir par rapport au studio, à notre créativité, à notre rapport à la passion. Moi, quand j’étais môme, je rêvais quand je voyais des couvertures de bouquins ou des produits anglo-saxons, et ce n’est pas si vieux que ça, car c’était avant l’avènement d’internet et des facilités de communication, et cela me paraissait intouchable. Il y avait également la langue anglaise, que je ne maîtrisais pas bien à l’époque, j’ai fait un petit peu de progrès depuis. Et, bref, c’était quelque chose d’absolument intouchable.

Ensuite, il y a eu pas mal de choses dans l’industrie française vidéoludique, même si c’est le plus gros marché de divertissement au-dessus de la musique et du cinéma, il y a eu plusieurs crises en France. Il y a eu le crash des start-up, moi j’ai travaillé dans plusieurs boites avant et cela s’est effondré. Il y a la fuite des cerveaux et si on veut travailler sur des trucs ambitieux, il n’y a qu’un seul moyen c’est d’aller au Canada ou Los Angeles, ce qui n’est pas complètement que ça, il n’y a pas que ça. Du coup, nous, quelque part, le fait d’avoir conservé le studio à Paris - il y a une part de choix volontaire et réfléchi, car on aurait pu partir à l’étranger -, il y a une sorte de fierté de pouvoir proposer et d’accomplir une alternative intéressante, et pas seulement une petite alternative, mais des jeux hyper ambitieux de manière à dynamiser un peu tout ça.

Merci à Aleksi Briclot et Michel Koch pour leurs réponses et à Capcom pour l'invitation.

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